17. février 2005

Professeur Alan McKinnon, Logistics Research Centre (Centre de recherche en logistique), Université Heriot-Watt, Edimbourg (Grande-Bretagne)
L’idée d’une redevance poids lourds en Grande-Bretagne (Lorry Road-User Charge, LRUC), actuellement à l’ordre du jour, a son origine dans la crise des carburants de septembre 2000, quand des transporteurs (et des agriculteurs) britanniques bloquèrent des raffineries de pétrole et des routes pour protester contre le niveau élevé des taxes sur les carburants. Cette crise fut l’une des raisons majeures qui ont amené le gouvernement britannique à chercher de nouvelles pistes pour taxer les poids lourds immatriculés à l’étranger sur une base similaire à ceux immatriculés en Grande-bretagne.

En 2002, le ministre britannique des Finances annonçait, dans son discours sur le budget, que le gouvernement allait instaurer une imposition kilométrique du trafic automobile lourd, dans le but d’assurer une égalité fiscale entre les transporteurs britanniques et leurs homologues étrangers. Considérant que les transporteurs étrangers devaient couvrir une part équitable des coûts liés à l’utilisation des routes du pays, il proposait la mise en place d’une redevance kilométrique sur la circulation des poids lourds et, en contrepartie, une baisse de l’imposition fiscale des transporteurs britanniques (HM Treasury, 2002). Cette diminution fiscale était nécessaire pour éviter aux transporteurs britanniques une charge supplémentaire du fait de la nouvelle redevance. Le gouvernement britannique se trouve aujourd’hui à peu près au milieu du processus d’acquisition de la LRUC. Le mode d’acquisition adopté est appelé «ouput-based specification»: il s’agit de définir les paramètres de la LRUC et de permettre aux soumissionnaires de concevoir un système qui répondra à ces exigences techniques. Les modalités précises de perception de la LRUC, de même que ses coûts, ne seront donc connus qu’au terme du processus, vers la fin de l’année 2005. Les exigences posées à la première et à la deuxième génération du système ont été spécifiées dans un cahier des charges publié en mai 2004 (HM Customs and Excise, 2004). La stratégie adoptée («baseline policy model») prescrit, pour le système de la première génération, l’enregistrement des trajets 24 heures sur 24 et 365 jours par an, la distinction entre les trajets autoroutiers et les trajets non autoroutiers, ainsi que l’enregistrement spécifique des trajets accomplis sur certaines portions du réseau routier. Le système doit en outre permettre une perception à quatre échelons, selon le type de route et le moment de la journée. Le montant kilométrique de la redevance devra également être fonction de trois paramètres techniques du véhicule saisis lors de son immatriculation: poids maximal total autorisé, nombre d’essieux et normes d’émission. Le système de la deuxième génération devra permettre une plus grande variabilité du montant de la redevance, en fonction du type de route, du moment de la journée et de la zone géographique (les zones auront la forme de polygones sur la carte de la Grande-Bretagne). Aucune indication n’est donnée quant à la date du passage de la première et la deuxième génération. Le programme LRUC comportera trois dispositifs: 1. Dispositif principal: pour les usagers réguliers du réseau routier britannique. Il est probable qu’un système GPS sera mis en place pour le repérage des véhicules de cette catégorie d’usagers. 2. Dispositif pour les usagers occasionnels: il s’appliquera principalement aux chauffeurs étrangers occasionnellement de passage en Grande-Bretagne. La distance maximale que pourra parcourir le chauffeur annuellement pour être considéré comme un «usager occasionnel» n’est précisée dans aucun des rapports publiés à ce jour sur la LRUC. Il est probable que ces véhicules devront être équipés d’un appareil d’enregistrement «à faible utilisation» et que la plupart des camions immatriculés à l’étranger relèveront de cette catégorie. 3. Dispositif de remboursement des taxes sur les carburants: il sera nécessaire pour assurer le remboursement d’une grande partie, voire de la totalité des taxes sur les carburants payées par les transporteurs britanniques, de manière à ce que ceux-ci n’aient pas à supporter de charges supplémentaires en raison de la LRUC. Selon des estimations, la valeur du contrat portant sur l’introduction et l’exploitation de la LRUC sera, sur 10 ans, de l’ordre de 4 milliards de livres (INPUT, 2004). Cette estimation est fondée en partie sur les coûts d’exploitation du système de péage allemand, coûts qui, d’après un rapport paru en 2003, représentent 20 à 24 pour cent des recettes annuelles du péage (Anon, 2003). A noter toutefois que le péage allemand n’est perçu que sur les autoroutes et sur les véhicules d’un poids maximal total autorisé de 12 tonnes et plus, alors que la LRUC sera prélevée sur la totalité du réseau routier britannique et sur tous les véhicules d’un poids maximal total autorisé de plus de 3,5 tonnes. De plus, les coûts d’exploitation du système allemand excluent les coûts de remboursement des taxes sur les carburants, remboursement qui fera partie intégrante de la LRUC. Les coûts d’exploitation du système britannique dépasseront sans doute de beaucoup le surcroît de recettes, généré en totalité par les transporteurs étrangers. On peut identifier cinq objectifs majeurs visés par la LRUC: 1. Egalité d’imposition entre les transporteurs étrangers et leurs homologues britanniques pour l’utilisation du réseau routier britannique. C’est là l’objectif le plus explicitement mis en avant dans les prises de position publiques, et l’objectif qui jouit du plus fort soutien de la part des milieux du transport routier en Grande-Bretagne. 2. Dissociation entre l’imposition des poids lourds et l’imposition des voitures de tourisme. Cela donnera au gouvernement une plus grande flexibilité pour gérer le trafic par des moyens fiscaux. 3. Imposition variable du trafic automobile lourd en fonction de la distance parcourue, de la catégorie de poids et des normes d’émission. 4. Imposition variable en fonction des disparités géographiques quant aux charges sur l’environnement et aux coûts d’infrastructure. 5. Imposition variable en fonction de la densité du trafic selon le moment de la journée, le type de route et la zone géographique. En l’espace de trois ans, l’imposition du trafic automobile lourd en Grande-Bretagne est passée d’un projet d’harmonisation des taxes payées par les transporteurs britanniques et étrangers à un système perfectionné qui permettra au gouvernement de varier le montant de la redevance en fonction du type de route, du moment de la journée et du lieu. Le gouvernement britannique considère la LRUC comme une «avancée importante» vers une imposition intégrale de tous les véhicules pour l’utilisation du réseau routier (Department for Transport, 2004). Mais il s’écoulera au moins 7 à 12 ans entre la mise en œuvre de la LRUC et l’introduction de redevances générales pour l’utilisation des routes («road pricing»). Dans l’intervalle, un système coûteux et complexe de péages pour les camions verra le jour, système qui permettra au gouvernement de percevoir une «taxe de congestion routière» (congestion charge) sur cette catégorie de véhicules qui ne représentent qu’environ 14 pour cent du trafic en Grande-Bretagne et seulement 5 pour cent des prévisions de croissance du trafic entre 2000 et 2010 (pondération: 1 poids lourd = 2,5 voitures de tourisme). D’aucuns ont argumenté qu’une telle taxe frappant uniquement les poids lourds serait inéquitable et en grande partie inefficace (McKinnon, 2004). D’un autre côté, si le gouvernement ne prévoit pas d’utiliser la LRUC à des fins de gestion du trafic avant qu’un système plus général de taxes de congestion routière ne soit introduit, on doit se demander pourquoi il s’engage, à ce stade, dans le développement d’un tel système, compte tenu des coûts et risques élevés qu’il implique. Une autre méthode de taxation des poids lourds, qui permettrait d’atteindre les autres objectifs majeurs de la LRUC (objectifs 1 à 3) à de bien moindres coûts et risques, a été proposée (McKinnon et McClelland, 2004). Avec cette méthode alternative, il s’agirait, lors de l’inspection annuelle du véhicule, d’enregistrer le kilométrage de l’année précédente à l’aide du tachygraphe, puis de multiplier ce chiffre par le montant de la redevance au kilomètre, montant calculé en fonction du poids maximal total autorisé, du nombre d’essieux et des normes d’émission. Les transporteurs pourraient demander la restitution des taxes sur les carburants payées durant l’année précédente, sur la base de chiffres de référence pour différentes catégories de véhicules, chiffres fondés sur la consommation de carburant. Les taxes sur les carburants seraient ainsi converties en redevances kilométriques, ce qui découragerait les transporteurs d’annoncer des kilométrages inférieurs à ceux effectivement parcourus, tout en les incitant à diminuer leur consommation de carburant. Les véhicules immatriculés à l’étranger paieraient le même montant par kilomètre que ceux immatriculés en Grande-Bretagne, et annonceraient les kilomètres parcourus sur les routes britanniques grâce à un système semblable à celui utilisé en Suisse pour les véhicules sans appareil d’enregistrement embarqué. La stricte application du système serait vérifiée grâce à des contrôles sporadiques. Cette méthode alternative d’imposition des poids lourds pour l’utilisation des routes pourrait être adoptée à titre de mesure intermédiaire, jusqu’à ce que l’introduction de taxes de congestion routière pour tous les véhicules soit techniquement réalisable et politiquement acceptable.